dimanche 18 avril 2010

Kenitra / Port Lyautey, Histoire et Mémoire


Nous vivons dans un temps qui attache une grande importance à l'histoire. Il semble en effet que l'histoire est une discipline indispensable à la formation des citoyens dans l'Etat. Les historiens nous rappellent toute l'importance du devoir de mémoire à l'égard de ce passé que nous ayons traversé. La connaissance du passé permet d'expliquer le présent. Garder mémoire en n'oubliant pas le passé, c'est demeurer vigilant et être capable de déceler ce qui dans notre temps risquerait de s'avérer une répétition sinistre du passé.

Pour commencer, il n’y a pas mieux que de donner la parole au Maréchal Louis Hubert Lyautey lui-même :

« Voici dix-huit ans que je pratique la guerre coloniale et, j'ose le dire, c'est une noble guerre. »
Louis Hubert Lyautey 
Paroles d'action - Lyautey. p134.

Sous le prétexte de desserrer l’étau autour de Fès, la Capitale assiégée, l’armée française débarqua à Mehdia au mois de Mai 1911. Seulement une fois à terre, elle se dépêcha d’évacuer la Kasbah de Mehdia de sa population pour l’ériger en base militaire d’où les troupes pourraient s’engager à l’intérieur du pays. Cette action de force se doubla d’une propagande qui s’évertua à vanter les bonnes intentions animant cette compagne.



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Rapidement, l’importance stratégique de la Kasbah de Kenitra se confirma sur le terrain. Le Sebou, avec une largeur de 250m et une profondeur de 6m, en faisait un port naturel pour l’amarrage des navires à vocation commerciale, offrant ainsi des facilités d’embarquement et de débarquement dont on ne disposait pas au port de Mehdia.

« De tout temps, les ports chargés d’approvisionner FES en articles étrangers avaient été TANGER et surtout LARACHE, à l’embouchure du LOUKKUS. Mais avec le nouveau statut du MAROC, tous deux échappaient à l’action de la France. Il fallait donc trouver un débouché français au commerce de FES et organiser, s’il se pouvait, une concurrence à LARACHE, en captant son commerce ; on ne pouvait penser à RABAT d’accès médiocres et situer trop au sud. Seul le port de KENITRA, débouche naturel de la plaine du Gharb  et des régions de MEKNES et de FES, parut répondre aux conditions requises. »
Kenitra (ex Port-Lyautey)-Historique de la ville européenne sous le protectorat Français
1911-1956-P31

« La riche région du Gharb constitue un arrière – pays plein d’avenir, qui n’est aujourd’hui qu’à l’aurore de son développement. Kenitra est bien placé pour devenir le port d’exportation des céréales du Nord marocain. »
Revue de Géographie Marocaine n° 4-P378

Commençant par la Kasbah de Mehdia, passant par celle de Kenitra et finissant aux confins du Merja du Fouarat, une bande immense de terres collectives appartenaient à des tribus qui, depuis fort longtemps, y vivaient de père en fils.
Les autorités coloniales qui convoitaient ces espaces cherchèrent une forme juridique adéquate pour s’en emparer. Elles demandèrent alors aux occupants marocains d’en fournir les titres de propriété qui, pour le cas des terres collectives n’avaient aucun sens.

 « Le Maroc … est peuplé d'une race d'agriculteurs. Or, pour cultiver, il faut à la fois la terre et la main-d’œuvre. La main-d’œuvre existe au Maroc … Au Maroc, la population dominante prépondérante, est la population berbère autochtone, cette population qui avait fait de l'Afrique du Nord un des greniers de Rome. Elle est toujours profondément attachée à son sol ; elle l'aime, elle en est jalouse. Elle a toutes les qualités du bon agriculteur, tel que nous le connaissons en France
La terre du Maroc n'est pas libre a priori.
Nous n'avons pas pu songer un seul instant et cela ne viendrait à la pensée de personne, à exproprier brutalement de la terre qui leur appartient, car toute la terre est possédée, le nomadisme n'existant pas au Maroc … Nous n'aurions abouti, par un procédé de cette sorte, qu'à développer la plus terrible et la plus légitime des insurrections.
Il en résulte que les terres disponibles pour les colons et les Européens se sont trouvés rares au début; elles le sont encore. Cependant, à côté du procédé habituel d'achat il a été possible de s'en procurer par d'autres moyens dans le détail desquels je ne veux pas entrer ici. Je me borné à indiquer que, si les Marocains ne sont pas nomades, beaucoup de tribus ont gardé la coutume antique de la propriété collective des terres. Nous arrivons, nous sommes déjà arrivés souvent à leur faire comprendre, à les convaincre que la véritable forme de la propriété est la propriété individuelle.
Et c'est justement sur cette terre collective que nous créons des lots domaniaux pour en faire bénéficier la colonisation française»
Paroles d'action-Lyautey-P441-bnf

Un autre témoignage

« Le Maroc est-il un pays neuf ?
Gardons-nous bien de traduire Moghreb par Far-West. Au Maroc, si les horizons sont vastes et si le voyageur parcourt souvent de longs kilomètres en auto sans apercevoir la moindre agglomération il ne faut pas en conclure que les terres sont sans maître et inutilisées. Tout champ, limité non par des barrières ou des haies, mais par une pierre, un buisson ou un accident de terrain imperceptible pour le passant, a un possesseur, sinon plusieurs ; et, pour en convaincre le touriste sceptique, il suffirait de l’arrêter en plein bled et de lui faire planter un piquet de tente pour le voir entouré, comme par miracle, d’indigènes semblant sortir de terre et qui lui demanderaient, non sans quelque soupçon, s’il n’est pas un géomètre du maghzen venu pour prendre mesure de leurs biens dans un but inquiétant. Car le fellah, qu’il soit arabe ou berbère, est au Maroc foncièrement agriculteur, si l’on entend par là qu’il tient passionnément à son champ ; plus exactement, il est attaché aux biens de ce monde, et la terre représente en définitive, pour des gens qui n’ont pas encore une bien solide confiance dans les billets de banque, le seul capital qui ne soit pas susceptible de volatilisation. »
La Renaissance du Maroc. Dix ans de protectorat. 1912-1922. 1922.
RÉSIDENCE GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU MAROC
RABAT
p281-282-bnf

Néant moins, on commença à faire les premières démarches pour inscrire et titrer les biens immobiliers tout autour de la Kasbah de Kenitra, à en faire le bornage et la propriété au profit de telle ou telle partie, pour ensuit en disposer d’une façon légale « pour raison de colonisation » 

 « Vous êtes, Messieurs les Colons, notre raison d'être dans ce pays. Si la France, à grands efforts d'hommes et d'argent, s'est reconstitué en ce dernier quart de siècle un des plus vastes empires coloniaux du monde, ce n'est pas pour en faire un champ de manœuvres ni des colonies de peuplement de fonctionnaires, mais pour y ouvrir un champ d'action aux plus courageux de ses enfants et créer des débouchés à leur activité économique. »
Paroles d'action-LyauteyP56

« L'idée fondamentale de la nouvelle génération coloniale, vous la connaissez bien c'est que, parmi nous, il n'y a plus ni militaires ni civils, que tous, sans distinction d'habit, colons, industriels, ingénieurs, fonctionnaires, officiers, tous, pionniers de l'œuvre commune, ne forment qu'une phalange, la phalange coloniale, Les officiers qui vous entourent ce soir, ils sont tous de la nouvelle école militaire coloniale. Ils renouent la tradition des légionnaires romains, fondateurs de villes mais toujours prêts à marcher à l'ennemi, demain, comme ils y marchaient hier : ils savent qu'un poste militaire colonial est bien moins une caserne ou un corps de garde qu'un centre de diffusion de l'influence française, dont le premier rôle est de protéger la construction d'un chemin de fer, d'assurer la sécurité d'un marché, d'ouvrir de nouvelles régions à notre pénétration économique. »
Paroles d'action-LyauteyP85

Pour avoir une idée sur l’immensité des terres dont on avait exproprié, en temps du protectorat, les populations de Kenitra, il suffit de consulter les Bulletins Officiels parus entre 1913 et 1932


« Ah! Les Romains dont nous déblayons les traces, y mettaient moins de façons. Ils traitaient vraiment les indigènes en vaincus, employaient leurs bras sans compter. Après les avoir dépouillés de leurs champs, ils leur laissaient à peine de quoi vivre. Je n'en veux pour preuve que les inscriptions qui nous font connaître le régime intérieur d'une ferme romaine et mieux encore, ces mosaïques, ces marbres, ces statues, ces fontaines dont la pioche met au jour les débris. Luxe africain, payé littéralement par la sueur des indigènes; rançon de la civilisation antique. »
Conquête du Maroc par René Millet-P242




« Le colon français prétend, parce qu'il est humain et juste [!!], payer argent comptant tous les services qu'on lui rend. Il est ainsi dominé, souvent même écrasé par un souci complètement ignoré du maître antique, à savoir celui du prix de revient. Aussi sa seule présence est-elle une source de bien-être pour les populations qui l'entourent : un fellah qui travaille chez les colons gagne 1 franc ou 1 fr. 30 par jour au minimum [Après la saisi de ses terres par l'expropriation]. Si ce n'est pas là une stricte application des idées de « justice » qui sont l'honneur de la civilisation française »
Conquête du Maroc par René Millet-P242

Dans le but de porter un coup de maître à l’artère commercial qui alimentait Larache alors sous le protectorat espagnol, on fait venir de cette ville et de Fès des commerçants (juifs et musulmans) qu’on installa à Kenitra où ils devaient transférer leurs activités et faire prospérer le commerce entre l’intérieur du pays et l’étranger .

« Des commerçants fassis furent attirés par l’activité du port et l’essor de l’agglomération européenne. Ils s’installèrent tout d’abord de façon provisoire dans des baraquements, puis construisirent des immeubles non loin du Sebou, autour du marché rural qui s’était établi à la limite nord-est du lotissement réservé à l’armée »
L’Evolution sociale du Maroc Le protectorat Marocain de Port Lyautey
Par Stéphane Delisle-p119

« Bientôt, cependant des commerçants fassis furent attirés par l’activité du port et favorablement impressionnés par l’essor de l’agglomération européenne : ils s’installèrent tout d’abord de façon provisoire dans les baraquements, puis construisirent des immeubles non loin du Sebou » 
B. E. S. M. n° 85 - Kenitra : « Historique et analyse du développement… » Nespola. (1960)P42

« Le premier noyau de peuplement juif provint des apports de la zone espagnole, Larache, El Ksar, Tétouan et de Tanger. Sensibles à la capture du commerce du Nord Marocain au profit de Kenitra, les Israélites transférèrent boutiques et bureaux au voisinage du port du Sebou. Fidèles à leur grégarisme ancestral, ils eurent tendance à concentrer leur habitat au Nord du lotissement marocain. Leur communauté s’organisa sous la direction du négociant Amsellem venu de Larache. »
LE RHARB FELLAHS ET COLONS
LE COZ-P895
« Ainsi, Fez et Meknès recevaient autrefois par caravanes de Tanger ou de Larache les sacs de sucre ou les balles de cotonnades, que venaient acheter dans les « Souks » les gens des tribus ; aujourd'hui, les marchandises arrivent surtout par chemin de fer de Casablanca ou Kenitra. »
La Renaissance du Maroc. Dix ans de protectorat. 1912-1922. 1922.
RÉSIDENCE GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU MAROC
RABAT
P312

Pour embellir l’image du colonialisme, on désigna des notables de la ville de Kenitra, au sein de la commission municipale mixte de cette ville, cette institution était dirigée indirectement par le Résidant Général qui en disposait à son gré. Conséquence : la commission municipale changea 21 fois entre 1913 et 1932 (voir le B.O de cette période)

Le 1° Avril 1913 le Résidant Général Louis Hubert Lyautey visita Kenitra, B.O. n° 23
Comme il a fait pour Marrakech



Le 27 juin 1913 fut institué le Contrôle Civil de Kenitra.

 La première commission municipale provisoire de Kenitra fut désigné le 23 Décembre 1914 par arrêté Viziriel visé par Lyautey et paru au B.O.n°115 du 4 Janvier 1915.

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"Dans la mémoire le souvenir est présent et le passé se perpétue. Il n'est jamais tout à fait passé... La mémoire est affective et soude les groupes."
 
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«  Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur »
 « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. »
Winston Churchill

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